Elena Gorunescu n'a jamais vu la France mais elle a consacré sa vie à l'écriture de dictionnaires et de manuels de français qui ont accompagné des générations de Roumains dans leur apprentissage.
Née à Braila (sud-est) d'une mère grecque et d'un père directeur de sociétés qui lui ont insufflé l'amour du français, Elena Gorunescu a toujours été la première dans toutes les écoles qu'elle a fréquentées. Arrivée première aux examens d'admission de l'Université de Bucarest en 1947, elle termine aussi major de sa promotion.
Mais ses origines bourgeoises, considérées comme suspectes pour le régime communiste, constitueront un obstacle de taille. Il lui faudra 16 ans d'"errance" comme interprète et traductrice avant de pouvoir enfin enseigner à l'université, en 1967.
Elle a affronté la censure qui lui renvoie son cours de théâtre français contemporain annoté de points d'interrogation. Parler du dramaturge Eugène Ionesco, connu pour son anti-autoritarisme, dérangeait.
Elena a gommé les notes et a porté la copie telle qu'elle l'avait écrite à l'imprimerie. Le cours est paru ainsi.
"Ce n'était pas un acte de courage, c'était un acte de dignité", dit-elle.
Pourtant, son dictionnaire de théâtre est resté sept ans dans les tiroirs. Il a été publié seulement après la chute du dictateur Nicolae Ceausescu.
La première fois qu'elle a voulu faire un dictionnaire français-roumain on lui a répondu qu'il y en avait déjà un.
"J'ai insisté. J'ai dit: +mais les Français ont le Larousse, le Robert, le Littré, des dictionnaires Flammarion, Hachette, de très bons dictionnaires+. Réponse: +C'est leur affaire+.
Aujourd'hui son bilan est impressionnant: une trentaine de livres dont une dizaine de dictionnaires réédités et utilisés par des générations de francophones, en Roumanie et ailleurs.
Pourtant, elle n'a jamais vu la France. D'abord à cause de la dictature qui limitait les voyages. Puis, elle a senti qu'il était un peu tard. Mais elle a eu l'impression d'y avoir vécu, accompagnée de Corneille, de Molière et de Voltaire ainsi que des milliers de mots qu'elle a traduits dans ses ouvrages.
La France vient de lui rendre hommage en la décorant Chevalier des Palmes Académiques et Officier des Arts et Lettres.
Source:
https://www.lepoint.fr/culture/
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